Spectacle vivant

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22 oct. 2021

Sans public, on n'est rien. Sharon Stone

Stand By


La Compagnie l'Esquisse
Avant première à Altigone, Saint Orens.


Il n'est pas trop tard pour aller découvrir ce spectacle diffusé dans la salle Altigone à Saint Orens. J'ai pu le voir en avant première lors de l'ouverture de saison du lieu, mais il est programmé fin octobre prochain aussi. Et vraiment, je vous le conseille. Je pense même y retourner. Quoi, pourquoi pas ?

Oui parce que j'ai su en fin de représentation qu'il avait fallu quelques mois pour l'écrire, et à peine 4 semaine de répétitions avant de le jouer. Il a donc été éprouvé pour la première et unique fois en septembre. Et c'était super ! Alors un mois plus tard, avec les retours du public, et l'expérience plateau de celui ci, pour sûr le spectacle a déjà évolué et aura pris de l'ampleur, de la texture, des changements : des améliorations sans aucun doute.

L'Esquisse, compagnie bien connue notamment pour ses reprises de Molière qui font salles pleines chaque année en Janvier pour le mois Molière. Le dernier bébé avait été une reprise de Shaekespeare, jolie surprise. Et leurs autres pièces, pour celles que j'ai eu l'occasion de voir, sont aussi d'une qualité et d'une maîtrise qu'on ne peut pas nier. Entre mise en scène artistique, technique, et jeu d'acteurs de haut niveau pour ne pas dire parfait, je n'hésite pas à les découvrir ou les redécouvrir quand l'occasion se présente.

C'est comme ça que l'imprévu est né : je vois la veille dans le journal mensuel local qu'ils vont jouer leur dernière pièce. Suis je libre ? Si oui j'y vais. Et j'y suis allée.


Ouverture de rideau. Débats, prises de becs. Fermeture de rideau. Poursuite des échanges. Ouverture du rideau. On continue commence à voir les différentes personnalités. Fermeture de rideau. Poursuite des échanges. Ouverture de rideau... Bon, ça va là !
Ignorance totale du public. Les comédiens sont en pleine crise, comment un des principaux éléments de leur pièce a pu les lâcher le jour de leur première ? Et ne pas revenir le lendemain ? Ni le surlendemain ? Pourquoi est il parti ? Faut-il qu'ils partent tous aussi ? Mais ils peuvent pas, sait-on jamais qu'il revienne ?
Hypothèses diverses, entrecoupées de travail : répétitions d'extraits d'oeuvres connues devant le public qui est un peu perdu, surpris, et curieux de voir où tout ça va mener.

Je ne spoilerai rien ici. Sinon dire que cette pièce montre le vrai envers du décors d'un spectacle en construction. Gérer les différentes personnalités des acteurs, faire de la médiation, combattre les contraintes et imprévus, tenter de trouver des solutions... Tout ça dans un vrai souci relationnel qui uni les divers membres d'une compagnie, tout niveau confondu, et place (metteur en scène, acteur, technicien).

Un témoignage des réalités du secteur, qui prend toute sa place dans l'actualité qu'est 2021, mais qui vaut pour toute la création artistique.


Bravo pour cette écriture originale, 
Bravo pour le résultat malgré le temps minimum et réduit de travail au plateau. 
Hâte de voir comment aura évolué ce nouveau bébé du Théâtre francophone.

24 févr. 2019

“L’individualité s’exprime magnifiquement dans le mouvement.” Sylvain Tesson

LAZUZ

Lazuz company


 

Et si on prenait de nouveau le temps d'échanger sur de l'artistique ? De temps en temps n'est pas coutume. Je vous présente ici la compagnie Lazuz qui propose un spectacle éponyme composé d'un duo acrobate-jongleur.
 

Outre ces deux disciplines maniées avec une délicatesse, une précision et une maîtrise dont on ne peut que saluer le travail, le spectacle repose sur le fameux thème du relationnel et de la communication. Oui, la communication pollue notre environnement, pas toujours à bon escient ni à bonne fin. Oui, le relationnel est inévitable, qu'on le veuille ou non, et c'est pas toujours évident. Quoi, oui, le lien à l'autre et les échanges sont deux vrais problèmes sociétales à mon avis. Pourquoi ça ne ferait pas une bonne base de proposition artistique ?
 

Jongle et acrobatie. On peut dire que le fil entre les deux semble fragile, la première dualité s'expose ici dans un challenge aérien entre balles en introduction puis massues flamboyantes en son climax, et une proposition étirée sur des déplacements corporels surprenants de fluidité et sensibilité. Confrontation oblige dans une virtuosité resplendissante, mais également harmonie dans des chorégraphies propres, claires, esthétiques de ces deux spécialités circassiennes, pour notre plus grand plaisir. Ces deux opposés qui s'attirent et ces ruptures entrainées par une trop forte proximité, dévoilent les tableaux de ce couple intrépide qui fonctionnent très bien.

Je vous parlais de communication. Pas une seule parole ici, tout dans l'être, le regard, l'impassibilité, le mouvement. Apprendre à ne pas restreindre l'autre tout en le sortant de son confort de base. Comprendre la personnalité de l'autre et s'y fondre pour ne former qu'un. Face à face ou union, les deux cas nous plongent dans des situations tant drôles, qu'agressives, que fusionnelles. Le tout dans un espace de confiance mutualisé.
Apprendre à connaître autrui est quelque chose qui se murit. Les mots alors ne valent plus tant.

On saura comprendre chacun d'eux. On saura être compatissant ou pas. On saura se projeter à un moment ou à un autre dans ce spectacle tendre et unique.
J'aime cette empathie avec l'artiste. J'aime ce sentiment de vouloir prendre place dans le jeu qui se déroule devant moi tout en appréciant garder mes distances et profiter. Profiter en ayant cette curiosité (parfois malsaine) du : y a quoi après ?

On veut que cette relation dure. On veut que ça bouge. On veut Lazuz.

 

Merci pour ce projet qui porte tant sur des problèmes sociétals d'entente et de résolution de conflit (à échelle humaine et aussi au sens large), que sur les rapports qui nous lient aux personnes faisant part de notre quotidien (pas toujours évident, on doit cela dit faire avec). Tout est question d'acceptation, de compromis mutuel, de contrôle et connaissance de soi. 

 

lazuz

 

Pas de frontière culturelle ou linguistique ici, juste de l'humain, du sensible, du visuel. Le spectacle a joué à l'international. Si vous le voyez programmé quelque part, je ne peux que vous inciter à ne pas louper l'occasion de plonger dans cet univers de performances et d'émotions mêlées.

 

Une proposition artistique aboutie et clairement maîtrisée.

20 mai 2018

"Le mot est le corps du temps." Dominique Fourcade

Le Journal d'Un Corps - Daniel Pennac

Association Reg'art et Théâtre de la Luciole
Adaptation et mise en scène : Catherine Vaniscotte
Adaptation et interprétation : Jean-Marie Combelle

 

http://www.theatredelaluciole.fr/www.theatredelaluciole.fr/Le_journal_dun_corps_files/shapeimage_2.png

 

Pour l'histoire : une amie de Daniel Pennac est venue le voir un jour avec des larmes aux yeux et un ensemble de cahier. Elle les avait trouvé dans la maison de famille. Ces cahiers, son père -décédé depuis un moment déjà- les avait écrit depuis qu'il était jeune, il avait laissé une note pour sa fille avec. Ces cahiers, relataient son regard sur le corps, sur son corps, sur l'évolution de son corps.
Daniel Pennac a réussi à faire éditer ces textes. Aujourd'hui il en existe deux versions : format livre, format album avec pour illustrations des dessins de Manu Larcenet.

Je ne sais comment Catherine Vaniscotte et Jean-Marie Combelle en sont venus à vouloir adapter ce journal intime. On peut dire que c'était un vrai challenge, loin d'être gagné d'avance. Et pourtant... et pourtant cette entreprise a été menée à bien et réussie avec brio. Tant par le jeu du comédien, le choix des textes intégrés, le respect de l'atmosphère de l'oeuvre écrite et surtout, le respect de la personnalité de l'auteur d'origine.  Pas facile de rendre compte des démons, des peurs, de la dérision d'une personne ayant existée et qu'on ne connaît pas. C'est ici à mon goût chose faîte. Bravo.

Je recommande vivement cette pièce ! A vous plonger au coeur de l'Homme, et son regard et ses perceptions corporelles. Ses comparaisons, ses expériences face à l'autre : médecins, amis, famille. Mélange de folie, sévèrité, tendresse. Une oeuvre pleine d'humanité.

 

Merci.

8 févr. 2018

“La joie de satisfaire un instinct resté sauvage est incomparablement plus intense que celle d'assouvir un instinct dompté.” Sigmund Freud

GUS

Sébastien Barrier

 

Violent, cru, sauvage, brut.
Musique théatralisée, textes, images vidéoprojetées.
Personnages humain et animal, d'une vie féline de chat atypique, particulier, bigleux, maigre, abandonné.

"Si je préfère les chats aux chiens, c'est parce qu'il n'y a pas de chat policier."
Jean Cocteau

 

Entre correspondance épistolaire à sa famille génétique, cohabitation avec sa famille adoptive, et découverte de la vie -d'un monde dans lequel toute étrangeté peut finalement avoir sa place- avec un ami. Voici ce que nous offre Sébastien Barrier, accompagné de son acolyte Nicolas Lafourest, dans sa toute dernière création.
Parce qu'être différent ne doit pas vouloir dire devoir se cacher, ni se faire discret, ou avoir à provoquer. La différence, simplement, se veut davantage patiente à trouver sa place, à oser, à vivre.

GUS est un geste ultime de survie.
Spectacle de surprises, de mots, de griffes, de charme, d'expression ... de chat.
Spectacle à ne pas prendre dans le sens du poil, mais plutôt à contrebrosser.


Poignant, vivant, vrai. Une immersion totale dans une personnalité pour laquelle tout un chacun peut s'identifer à un moment ou à un autre, ou au moins s'attacher. Enfin, pour le meilleur ou pour le rir... euh, le pire. Avec une rythmique cadancée entre : 
  musique (guitage, voix, caisse claire, charley, mandoline, dactylographie et autre rebondissements),
  textes (écrits, chantés, lus, contés, criés... de tendresse, colère, incompréhension, amour surtout -au final-, amour profond -caché, à déterrer gentiement-), 
  images (mots et autres racontards, lettres de nouvelles, animaux circassiens...). 
Le tout dans une atmosphère sombre, sobre parfois, pénétrante toujours, éveillant sans cesse les réactions -enfouies ou exprimées- du moindre spectacteur -petit et grand confondus.

 

Un Sébastien Barrier toujours éclatant d'une mélancolie persistante à la diction parfaite et au bagoût séduisant. Fragilité, attaches et poésie autour de l'animalité et de la création artistique, pour une ôde à la vie, à la survie, à l'être.

A dévorer des yeux, des oreilles, du rire,   des larmes,        du coeur.
 

“Le solitaire est un diminutif du sauvage, accepté par la civilisation.” Victor Hugo

16 mai 2017

"L'amertume finit par tuer." Pierre Billon

Bag For Life

Derry Production. 2017

 

Production venue de l'Irlande du Nord. 
[Pour info, un "bag for life" est le fenre de sac en plastique solide que tu achètes aujourd'hui en caisse, sensé durer toute la vie, réutilisable quoi.]


Une femme, seule sur scène. Des écrans suspendus sur le plateau l'entourent. Elle se trouve légèrement surélevée au milieu d'un triangle blanc. On comprendra rapidement l'allusion à la perspective d'un rayon de supermarché.

Le lumières s'éteignent dans le salle. Des projections débarquent sur les écrans : des "fuck" clignotent et s'affichent partout dans différentes polices. La femme se retourne. "Fuck. Fuck... Fuck." 
C'est parti pour 75 minutes de spectacle. 

Dans quoi avais-je mis les pieds ?

https://tht.ie/shows/2017/5/BagForLife.jpg

Dans un putain de show. Une putain de performance.


Un samedi matin, aux courses, la nana avec son fils dans le caddie. Les gens qui se bousculent, les queues interminables en caisse. Pour une micro revanche en cause d'un léger énervement, elle laisse gentiement le caddie toucher l'homme qui la précède. Comme tout le monde, l'homme se retourne et sort un "pardon !", elle réagit en accusant amusément son fils et s'excuse également. Ils en rient.
Ils en rient et l'homme intéragit avec le fils dans le caddie. Ils rient jusqu'à un déclic. Pas des moindre. Elle regarde attentivement l'hômme, cheveux gominés, yeux clairs, bouche fine. Elle le reconnaît. Elle le reconnaitrait parmi 1000. 

L'homme qui a tué son frère d'une balle dans la tête il y 23 ans. Relaxé il y a 18. Elle avait 13 ans, son frère 22. Elle a suivi le procès à l'époque. Elle ne s'entendait pas super bien avec son frère, mais il restait son frère. 
Cet homme a tué de sang froid 3 personnes. Trois personnes victimes d'avoir au mauvais endroit au moment ce jour là. 3 personnes dont son frère.

Parylisie puie panique, elle prend son fils dans ses bras et rejoint sa voiture.
Pause. Respiration. Larmes aux bords des yeux. Son fils dans le rétroviseur qui ne comprend pas et pose des questions.
Elle veut le revoir; Elle tourne et retourne dans le parking. Rien. Puis là, elle le voit, pas lui, son fils, 12 ans, vidant un chariot. Elle s'arrêt, le regarde. Pensées à 1000 à l'heure.
S'il lui arrivait quelque chose, un accident est si vite arrivé, son père comprendrait la souffrance... Revanche. Accélérateur : 20 - 30 - 50 miles... freinage brusque. Coeur palpitant.
Le garçon n'a même pas réagit. Il se retourne alors lentement, écouteurs aux oreilles. Elle lui fait signe, et engage la conversation. Questions posées : l'homme a une vie bien rangée maintenant : chauffeur de bus, femme, enfant, maison -surement dans le quartier !. Si encore il avait un job qui permettait de sauver des vies... mais non, même pas. Haine, colère et tristesse monte. Elle quitte es lieux après avoir balancé à son fils que son père et un meurtrier.

Ce meurtrier vivait une vie tranquille, alors que son frère n'aurait jamais de vie. Jamais rien à dépenser dans un supermarché. Jamais de efmme, jamais d'enfant. Pas de villa non plus. Pas de boulot. Rien.

Elle rentre chez elle. Et sa vie va lentement changer. Créer un personne sur facebook pour rentrer en contact lui, et sombrer doucement dans une certaine folie menant à la souffrance des gens qui entourent cet homme, cet arracheur de frère.
Cachant tout à son mari bien sûr, les choses s'enveniment aussi dans sa propre vie : confiance perdue, poussée à voir un psy... elle reste malgré tout en contact avec l'homme. La tête et le coeur peuvent jouer des sales tours. Tourner l'esprit, changer une personne. 

Elle se rend compte qu'elle le fait moins souffrir que ceux autour de lui, y compris elle-même. Elle veut arrêter. Juste laisser tomber.
Trop tard. Un soir, alors que son mari et son fils sont endormis à l'étage, elle le voit, là, dehors. Il demande à entrer. Elle ne sait pas quoi faire. Il entre, s'installe dans la cuisine, et la provoque, explique qu'il n'est pas stupide. Aussi, elle l'a chauffé et maintenant il faut terminer ce qu'ils ont commencé. Mais sa voix s'élève. Elle est consciente d'avoir laisser entrer un tueur chez elle, avec sa famille endormie à côté. Elle se rapproche pour essayer de le calmer, ne réveiller personne. Elle le touche d'une main, lui parle, de l'autre, à taton, attrappe la première chose qui lui vient : un "bag for life".


Eplosion de force, jeu magnifique. Fiction mais qui dit pas improble. Puissance. Beauté des aactes. Frissons. Tout ça avec une nana au milieu du plateau. Des images en saccades et noir et blanc sur les écrans. Epuration totale de la scène. Simplicité, efficience.
 

Merci pour ce bijou théâtral.

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